Loin d’être hostiles aux syndicats, les antinucléaires que nous sommes souhaitent pouvoir discuter avec eux du nucléaire en prenant en compte l’intérêt des travailleurs. Des points de convergence se font jour sur l’obstination d’EDF à construire des EPR en Grande-Bretagne. Mais sur bien d’autres aspects nous considérons les positions de certains syndicats comme inappropriées.

S’il est légitime de défendre l’outil de travail et l’emploi, nous pensons que cela ne doit se faire ni au détriment de la sécurité et de la santé des travailleurs, ni au mépris de la protection de l’environnement (qui constitue, faut-il le rappeler, le cadre de vie des travailleurs et de leur famille, aussi bien que de l’ensemble de la population). Inversement, la défense de l’outil de travail ne doit pas se confondre avec la protection des intérêts financiers des actionnaires, propriétaires ou gestionnaires. Aujourd’hui, alors que la sauvegarde de l’industrie nucléaire civile et militaire est un thème de campagne des candidats les plus conservateurs, alors que les difficultés d’EDF s’accroissent en raison de la mise à l’arrêt de plusieurs réacteurs pour maintenance, défaillances et défauts divers, alors que la débâcle d’AREVA est aggravée par le scandale des malfaçons, nous espérons que les syndicats porteront attention à nos arguments et sauront évoluer dans leur approche des problèmes causés et traversés par cette industrie. A l’inverse, les atouts des filières renouvelables et des économies d’énergie doivent être mieux reconnus, notamment dans leur capacité à créer des emplois nombreux et non délocalisables – bien plus attractifs, notamment pour des ouvriers qualifiés, que des emplois en sous-traitance exposés à la radioactivité. De plus ces technologies peuvent s’exporter sans honte à tous les pays en développement plutôt que vendre des engins de mort à des dictateurs... Au-delà de l’aspect économique, la question de l’impact sanitaire de la radioactivité doit être soulevée avec autant de force que l’Etat, les industries nucléaires et les instances de radioprotection officielles mettent de cynisme dans le déni des effets délétères des faibles doses sur la santé des travailleurs et des populations.

Afin d’apporter des arguments plus détaillés, nous répondrons à l’article consacré à l’énergie dans le journal Informations Ouvrières n° 397, qui nous semble représentatif des discours syndicalistes pronucléaires que nous dénonçons. Cet article nous a particulièrement choqués car il est paru dans la semaine du 20/04/16, c’est-à-dire alors que nous commémorions partout en France la catastrophe causée par l’explosion de Tchernobyl le 26 avril 1986. Nous souhaitons que le prochain numéro du journal fasse une place à nos arguments et que les contributeurs se montrent dorénavant plus éclairés dans les jugements qu’ils portent sur le nucléaire et ses alternatives. Dans cette tribune libre, Suno Navarro, syndicaliste chez EDF (le syndicat n’est pas précisé), affirme que le gouvernement français actuel est désemparé, notamment dans le domaine de la politique énergétique. A nos yeux, ce gouvernement assume totalement la contradiction entre la position d’EDF qui refuse de fermer des centrales et les engagements de campagne du président Hollande ou la loi de transition énergétique. Le lobby nucléaire se confond avec l’Etat ; les gouvernements successifs imposent tranquillement la même politique énergétique en se moquant du jeu parlementaire et électoral.

Selon M. Navarro, l’objectif de réduction à 50% et le démantèlement de 58 réacteurs sur une période de 20 ans seraient techniquement impossibles. Les experts de NégaWatt et de l’ADEME disent le contraire. M. Navarro parle aussi de résistances sociales. Il est vrai que les syndicats du nucléaire tiennent, au nom de la défense de l’outil de travail, des positions pronucléaires. Pourtant les salariés du nucléaire pourraient être rassurés en terme d’emploi, avec le démantèlement des centrales et la gestion des déchets radioactifs à venir ou des formations pour les filières renouvelables et le secteur des économies d’énergie à développer. Par ailleurs, si la défense de l’outil de travail est une revendication légitime, celle de la santé au travail l’est tout autant, et il est étonnant que les syndicats ne s’émeuvent pas davantage que nombre de travailleurs du nucléaire, et notamment les sous-traitants, soient exposés à des doses de radiations nocives et à des risques professionnels importants et croissants. Quant aux mineurs de l’uranium exploités au Niger, notamment, leurs conditions de travail et les conséquences sur leur santé sont aussi à prendre en compte (Nous n’oublions pas les mineurs du charbon chinois : 1079 morts en 2013, et de nombreux accidents passés sous silence. Bien évidemment, il est urgent de sortir des énergies fissiles et fossiles). M. Navarro cite BAUPIN : « une histoire est en train de s’achever ». Eh oui, on va bien assister à une implosion du tout nucléaire Français. La dette d’EDF est abyssale et AREVA est en quasi faillite, les problèmes techniques des EPR ne semblent pas près d’être résolus, la problématique des déchets radioactifs va se poser de façon très cruelle, le maintien de nos vieux réacteurs fait que des pays voisins demandent la fermeture des centrales proches... Et que dire de l’éventualité d’une catastrophe environnementale où les travailleurs du nucléaire seraient aux premières loges ? Songeons à tous ces travailleurs sacrifiés, tels les « liquidateurs » soviétiques (de 25 000 à 125 000 morts et plus de 200 000 invalides, bilan provisoire). L’effondrement économique et social qui découle de telles catastrophes, sans oublier les conséquences sanitaires dramatiques, ont sur l’emploi et sur la vie des travailleurs et de leurs familles des conséquences bien plus graves que la fermeture des centrales.

M. Navarro ne fait aucune allusion à tous ces aspects mais prétend que l’évolution du secteur énergétique, « se heurte aux rapports politiques et sociaux (incarnés par la loi de nationalisation de 1946) ». Mais en quoi la loi de nationalisation se heurterait au démantèlement du nucléaire et à l’émergence d’un service public de production électrique respectueux de l’environnement ? Il est extrêmement regrettable qu’au nom du service public et du droit à l’énergie, une poignée de technocrates et de politiciens affairistes ait imposé le tout nucléaire aux Français. Mis à part l’hydro-électricité, le pays a pris un retard considérable en matière d’énergie renouvelable, sans parler de la maîtrise de la consommation énergétique dont M. Navarro ne parle jamais (nous pensons notamment à l’isolation thermique et à la lutte contre la précarité énergétique). Le plus tragique c’est que l’image d’EDF s’est considérablement ternie et un nombre croissant d’usagers préfère quitter l’entreprise. M. Navarro affirme que les interconnexions de transport électrique sont techniquement inadaptées à la pénétration de l’éolien et du solaire. C’est en partie vrai, mais non insurmontable. De plus, pourquoi ne citer que ces deux sources d’électricité renouvelable ? Pourquoi rien sur la biomasse, rien sur le solaire thermique, avec lequel on peut faire aussi de l’électricité. Rien sur la cogénération qui permet de produire chaleur et électricité avec efficacité. M. Navarro ne parle pas non plus des générateurs électriques utilisant les courants marins. Rien non plus sur l’hydraulique (Filière très prisée par le privé car on peut stocker et donc ajuster plus facilement l’offre à la demande et vendre ainsi l’électricité plus chère. On imagine le désastre avec la privatisation des concessions hydrauliques pour les tarifs, pour les installations, l’emploi et la gestion de l’eau).

Comme M. Navarro, qui les qualifie de « volatiles », les promoteurs du nucléaire (mais aussi des fossiles) mettent souvent en avant « l’intermittence » des énergies renouvelables pour les disqualifier, ou plus subtilement défendre une prétendue indispensable complémentarité avec les renouvelables. Pourtant, pour équilibrer et sécuriser le réseau des aménagements tels que des barrages de pompage seraient une des solutions de stockage envisageables. Le rapport de NégaWatt a de nombreuses propositions sur ce point.

M. Navarro fait aussi allusion à la casse sociale, les industriels du solaire et de l’éolien n’appliquant pas à leurs personnels le statut des industries gazières et minières. Mais comment s’étonner du retard industriel de ces filières qu’on a laissées aux Chinois et à d’autres pays ? Sur le point précis de la casse sociale c’est bien du ressort des syndicats. Et les travailleurs de ces industries vont devoir se battre, c’est une évidence. Enfin M. Navarro se lance sur le terrain de la décroissance qu’il confond avec la désindustrialisation. Or la décroissance c’est entre autre la prise en considération de l’énergie grise, toute l’énergie cachée comme celle des transports de marchandises, et par conséquent la relocalisation d’un grand nombre d’industries…

Notre syndicaliste, par de telles prises de position, s’éloigne de fait du champ syndical et s’aventure sur des terrains qu’il ne maîtrise pas, ou qu’il feint de ne pas connaître. On ne peut être que dépité après la lecture de cet article dans le journal Informations Ouvrières. Ce journal, qui se veut le chantre des travailleurs, aura beau jeu de nous rappeler qu’il s’agit d’une tribune libre : en publiant cet article, il court le risque de se voir discrédité, et jugé par l’Histoire.

En conclusion, toutes nos pensées vont vers les travailleurs du nucléaire, et notamment les précaires. Il leur faut plus que jamais des syndicats forts et puissants qui les protégeront le plus possible de la précarité et des risques inhérents à ce secteur extrêmement dangereux par les CHST, le respect du code du travail…. Ces derniers temps on a vu de grands syndicats du nucléaire se prononcer contre des investissements hasardeux d’EDF, notamment en Angleterre. Si l’on peut critiquer ces positions réformistes consistant à faire de la cogestion, on peut aussi s’appuyer sur cet embryon de prise de conscience que ça ne tourne pas rond chez les industriels du nucléaire pour tout remettre à plat. Nos militants sont à la disposition des syndicalistes qui souhaitent réagir sur ce sujet !

A consulter : site de Négawatt https://negawatt.org/, site de l’ADEME http://www.ademe.fr/